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C'est en Angleterre, vers 1780, que le mot "touriste" apparaît dans la langue anglaise. Il désigne ces jeunes aristocrates qui effectuent alors le Grand Tour, un voyage initiatique d'un an à travers l'Europe, de Londres à Rome, en passant par Paris, Genève, Venise, Florence et parfois Nice.
Alors aujourd'hui nous avons voulu sortir les cartes de cette industrie du tourisme et avant d'imaginer l'avenir, nous allons faire un état des lieux de nos façons de voyager qui, vous allez le voir, ont considérablement évolué au fil du temps.
C'est en Angleterre, vers 1780, que le mot "touriste" apparaît dans la langue anglaise. Il désigne ces jeunes aristocrates qui effectuent alors le Grand Tour, un voyage initiatique d'un an à travers l'Europe, de Londres à Rome, en passant par Paris, Genève, Venise, Florence et parfois Nice.
Au XIXe siècle, la pratique du voyage d'agrément s'étend en Europe dans les stations thermales et balnéaires chics, à la mer comme à la montagne, d'abord conçues pour améliorer la santé des visiteurs. En 1869, le Britannique Thomas Cook, inventeur du voyage "all inclusive", organise la 1re croisière sur le Nil pour visiter les pyramides. Le voyage organisé est né, prémices de la démocratisation à venir. Avec la révolution industrielle et des transports, les bourgeois européens prennent des trains couchettes et paquebots de luxe pour partir à la conquête de terres lointaines. Le tourisme suit les traces des empires coloniaux et des comptoirs, par exemple à Simla, Shanghai ou à Dalat, au Cap, aux Canaries ou à Mar del Plata.
Sur le continent américain, les touristes fortunés partent, eux, à la conquête de l'Ouest où s'ouvrent les grands parcs nationaux, Yellowstone et Yosemite. À partir des années 1960, nouvelle étape : la société occidentale de consommation démocratise les loisirs grâce aux congés payés et à la baisse du temps de travail. En voiture ou en train, à l'hôtel ou en colonie de vacances, classes moyennes et populaires découvrent du pays. Le goût et les moyens de partir deviennent des marqueurs sociaux et on reste entre soi au Club Med autant qu'au camping.
Dans les années 70, globe-trotteurs et routards, sacs sur le dos et pouces levés, parcourent le monde à la découverte des autres. Depuis les années 90, avec l'arrivée des compagnies aériennes low cost et des plateformes numériques de réservations, la planète continue de s'ouvrir à des touristes toujours plus nombreux.
Alors regardons maintenant plus précisément, la courbe de cette expansion continue du tourisme au fil des ans. De 25 millions de voyages à l'étranger en 1950, on est passé à 1,5 milliard en 2019. Le voyage hors de ses frontières concernait 1% de la population mondiale au milieu du 1950. Et ces 20 dernières années, avec l'arrivée des touristes asiatiques et latino-américains, le voyage concernait l'équivalent d'un humain sur 5.
Avec le coup d'arrêt imposé par la pandémie, cette tendance à la hausse devra être confirmée tandis que de nouvelles classes moyennes, en Asie surtout, ont découvert avant la crise les plaisirs du tour-operator. Alors voyons maintenant quelles étaient les destinations les plus prisées.
En 2018, les 10 pays les plus visités étaient la France, N° 1 mondial, puis l'Espagne, les Etats-Unis, la Chine, l'Italie, la Turquie, le Mexique, l'Allemagne, la Thaïlande et le Royaume-Uni. Le tourisme mondial s'organisait autour en fait de 3 grands pôles : loin en tête, la vieille Europe avec le bassin méditerranéen et les Alpes. Tirée par sa croissance économique, l'Asie, autour de la mer de Chine, arrivait en 2e position. Et enfin, l'Amérique du Nord et centrale avec le bassin caribéen.
Les voyages à l'étranger ne sont que la pointe émergée de l'iceberg touristique, car même avant la pandémie, on a toujours tendance à visiter prioritairement son propre pays. Ainsi, en 2019, on comptait 9 milliards de voyages domestiques, contre 1,5 milliard de voyages internationaux. Nous allons voir maintenant que sur chaque continent, les touristes se rendent en priorité chez leurs voisins. Prenons quelques exemples : les Allemands, comme 90% des Européens, voyagent d'abord en Europe, Autriche, France, Italie, Espagne, Pays-Bas, Grèce, avant de s'éloigner vers la Turquie, la Thaïlande ou encore les États-Unis.
Les Chinois partent d'abord en Asie du Sud-Est, Thaïlande, Viêt Nam, Singapour, Cambodge, au Japon et en Corée du Sud avant d'aller visiter les États-Unis ou l'Europe.
Quant aux Etats-Uniens, ils privilégient le Mexique et le Canada avant la France, le Royaume-Uni ou l'Italie.
Hôtels, restaurants, loisirs, les voyageurs dépensent. Nous allons voir maintenant quels sont les pays qui vivent le plus du tourisme et qui souffrent donc particulièrement de la pandémie. Vous voyez la carte de la part du tourisme dans le PIB de chaque pays, plus la couleur est foncée, plus le tourisme représente une part importante de la richesse. À l'échelle de la planète le secteur touristique représente en moyenne 10% du PIB mondial et 10% des emplois. Mais pour certains pays, l'Espagne, l'Italie, le Maroc, la Tunisie, le Mexique, la Chine et l'Australie notamment, la manne touristique est plus importante encore. Pour d'autres, elle est vitale : Cambodge, Philippines, Grèce, Géorgie, Islande, par exemple. Et pour certains micro-états du Pacifique, de l'océan Indien ou des Caraïbes, le tourisme est parfois l'unique source de devises.
On l’aura compris, le tourisme est devenu aujourd’hui un secteur clé de l'économie mondiale, pour le meilleur et pour le pire, notamment pour le climat. Le tourisme représenterait en effet 8% des émissions mondiales de gaz à effet de serre et bouleverse bien sûr les paysages, particulièrement comme on va le voir en bord de mer. Intéressons-nous à ces côtes qui au fil des ans ont été aménagées pour accueillir les touristes sur tous les continents.
Au Mexique par exemple, touristes nationaux et Américains se bousculaient jusque-là sur les plages qui bordent le pays à l'ouest, sur le Pacifique, comme à l'est, sur le golfe du Mexique et la mer des Caraïbes. Sur la péninsule du Yucatan, haut lieu de la civilisation maya, la Riviera Maya, au sud de Cancun, offre ainsi un paysage de 130km où s'alignent resorts et hôtels avec piscines et spas, désormais déserts à l'heure de la Covid-19. Ce gigantesque complexe balnéaire, qui a été construit dans les années 80 sans aucune préoccupation environnementale, a subi de plein fouet les effets de la pandémie et se retrouve sans perspective de reconversion.
Les massifs de montagnes sont également des zones hyper fréquentées. Apparus dans les Alpes, les sports d'hiver ont aujourd’hui conquis les pays que vous voyez ici sur la carte. La Chine par exemple, a développé des stations dans les provinces du nord du pays et autour de Pékin depuis une vingtaine d’années. Avec la perspective des JO d'hiver en 2022, les Chinois urbains de moins de 40 ans se mettent au ski, un marché qui a de beaux jours devant lui avec l'augmentation du pouvoir d'achat. Sauf qu’en Chine comme ailleurs, le changement climatique menace à terme montagnes et sports d'hiver.
Au Népal tout proche, l'afflux de dizaines de milliers d'alpinistes venus ces dernières années gravir l'Everest, le plus haut sommet de l'Himalaya à 8848m, est déjà un désastre écologique. La route vers le toit du monde est devenue une autoroute touristique et le parc national de Sagar Matha, classé au patrimoine mondial de l'UNESCO, est envahi de tonnes de déchets et d'excréments laissés par les expéditions qui sont pourtant censées les redescendre. Mais l'octroi des permis de monter, vendus entre 5 000 et 11 000 dollars par expédition, est devenu un revenu essentiel pour l'État népalais, l'un des plus pauvres au monde.
Les villes enfin se battent pour attirer les touristes du monde entier grâce à leurs musées, leur patrimoine architectural ou leurs grands magasins. Vous voyez à présent sur la carte les 20 villes les plus visitées au monde en 2018.
Prenons l'exemple de Paris, une des capitales les plus courues de la planète. Les 19 millions de touristes venus y séjourner en 2018 ont concentré leurs promenades sur quelques grands axes du centre, les incontournables Notre-Dame de Paris, Louvre, musée d'Orsay, tour Eiffel, Champs-Élysées et Montmartre. Mais pour le logement, l'arrivée d'Airbnb a complètement changé la donne. C’est désormais, tout le territoire parisien, vous le voyez, qui est ouvert à la location de courte durée. Cette omniprésence des touristes dans le centre-ville crée des effets pervers, conflits de voisinage, concurrence avec les hôtels et hausse des loyers. Ces problèmes sont partagés par de nombreuses villes européennes. Ainsi, Berlin a partiellement interdit la plateforme de 2016 à 2018, et Barcelone a connu des manifestations anti-touristes avant la pandémie. À la demande de 22 cités, dont Barcelone justement, mais aussi Paris, Amsterdam, Munich, Helsinki et Florence, une législation européenne devrait être adoptée en 2022.
On l'aura compris, le tourisme mondial était donc avant la Covid hyper-concentré dans certains hauts lieux de visite au risque de la saturation, mais il laissait aussi de nombreux espaces vides, en Afrique notamment, qui pourraient être autant de réservoirs pour le développement touristique de l'après-pandémie. Toujours plus loin, toujours moins cher, vous l'aurez compris ces dernières décennies le monde s'est ouvert au tourisme pour le meilleur et pour le pire. La pandémie de la Covid-19 a porté un coup d'arrêt brutal à ce secteur qui représente, on a vu, près de 10% de l'économie mondiale ce qui a, bien sûr, des conséquences vertigineuses. Au moment où nous enregistrons cette émission, les experts du tourisme ne sont pas d'accord sur la façon dont nous reprendrons ou non nos voyages. Certains parient sur de changements majeurs, moins d'avions, moins de réunions au bout du monde, de destinations lointaines. D'autres, au contraire, parient sur une envie décuplée pour nos vacances, de franchir des frontières. Alors est-ce que le virus aura disparu ? Se posent aussi toutes les questions liées au passeport sanitaire. N'oublions pas un enjeu géopolitique majeur : dans le monde d'après, la Chine compte bien détrôner le plus rapidement possible la France comme pays le plus visité au monde. Nous avons préparé avec lui cette émission : le géographe Philippe Duhamel, qui est également l'auteur de "Géographie du tourisme et des loisirs, dynamique, acteur et territoire", paru chez Armand Colin. Ainsi s'achève ce nouveau numéro du "Dessous des cartes", rendez-vous bien sur la semaine prochaine, même endroit, même heure. Et d'ici là, n'oubliez pas notre site Internet sur lequel vous retrouverez notamment nos leçons de géopolitique. À bientôt.
Retranscription libre de la vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=HeoTG7_MqIM